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BLONDEL Jacques

Jacques Blondel est né à Rouen le 26 sept 1883, fils d’Albert Blondel, avocat à la Cour d’Appel de Rouen, ancien bâtonnier. Sans doute séduit par le spectacle des navires alignés le long des quais et peut-être aussi par le QUEVILLY, le superbe 4-mâts pétrolier, célèbre par ses traversées rapides de l’Atlantique du Nord, qui fréquentait Rouen, il se destina au métier de marin.
Il prépare ses divers brevets à Dieppe et est reçu C.L.C. le 9 décembre l909. Il nous a adressé sur sa navigation les renseignements suivants :
Cabotage : 4 mois dont 2 comme lieutenant.
Long Cours :
4-mâts QUEVILLY, 11 mois : pilotin.
Paquebot TOURANE, 6 mois : pilotin
3-mâts DUGUAY TROUIN, 31 mois : lieutenant : Cap Horn.
4-mâts QUEVILLY, 10 mois lieutenant : Cap Horn
3-mâts CHATEAUBRIANT, 9 mois second capitaine : Cap Horn.
3-mâts ELISABETH, 32 mois capitaine : Cap Horn.
3-mâts BIDART, 10 mois capitaine Cap Horn
Chargeurs Réunis : SATLANDROUZE, 24 mois lieutenant
Paquebot AFRIQUE 23 mois lieutenant.
Paquebot LUTETIA SUD ATLANTIQUE, 20 mois, lieutenant.
Paquebot Asie, 2 mois, lieutenant.
Service à terre : Sous-chef et Chef pilote des services maritimes des Chargeurs Réunis à Bordeaux : 7 ans.
Capitaine d’Armement à la Cie Navale de l ‘Océanie : 18 mois(Les navires ont été vendus à la Cie Contractuelle des Messageries Maritimes).
Il est décédé le 25 novembre 1975, dans une maison de retraite à Bassens, près de Bordeaux. Il avait 92 ans
Il avait passé 9 fois le Cap Horn, sur les grands voiliers.
 
Il était le Président de la bordée Sud-Ouest de 1’Amicale des C.L.C. Cap Horniers.
Avant d’être reçu C.L.C. le 9.12.1909, notre ami avait 60 mois de navigation dont 52 mois sur les voiliers de Prentout de Rouen ; 21 mois sur le 4-mâts pétrolier QUEVILLY : dont Rouen-Philadelphie. 11 mois comme pilotin et 10 mois comme lieutenant. Puis 20 mois comme lieutenant sur le 3-mâts carré DUGUAY TROUIN : 3 voyages, Glasgow, Iquique, Calédonie, Le Havre, Calédonie, Glasgow, Calédonie. Reçu C.L.C., Blondel fait un voyage de 9 mois comme second : Angleterre, Nouvelle-Calédonie sur le 3-mâts CHATEAUBRIAND.
 
Il prend le commandement du 3-mâts ELISABETH qu’il conservera 31 mois au cours desquels il accomplit 3 voyages Europe Nouvelle-Calédonie. Notre ami Blondel terminera sa navigation à voile sur le 3-mâts BEDART par un voyage de 10 mois et demi de Nouvelle-Calédonie. Au cours de ces 8 années de long cours à la voile, il aura passé le Cap Horn 9 fois et fait 8 voyages de circumnavigation en doublant les 3 Caps.
Après 7 années, 1915-1922, de navigation aux Chargeurs Réunis, et à la Sud Atlantique, notre ami devient à Bordeaux, toujours aux Chargeurs, chef-adjoint du service maritime et des manutentions, puis chef de ce service jusqu’au 1er janvier 1930. Il rentre alors à la Cie Navale de l’Océanie en qualité de capitaine d’armement. 18 mois après, les navires sont vendus aux Messageries Maritimes.
 
Dans l’impossibilité où il était de reprendre la navigation à cause de ses yeux, notre camarade rentre à la Cie d’assurances maritimes la Foncière Transports, dirigée par M. Gaston Breton, son ancien directeur des Chargeurs Réunis, où il remplira pendant 20 années jusqu’à l’âge 68 ans, les fonctions d’Inspecteur. Sous le pseudonyme de Jacques Tar, il a écrit Noels étranges sur mer et dans le ciel édité par Denöel inspiré des rêves fantaisistes d’un ancien Cap Hornier, amoureux de son métier de capitaine de grands voiliers. Il nous raconte dans son curriculum quelques épisodes tragiques de sa vie de long courrier dont on trouvera ci après un large compte rendu :
 
1° Voyage de l’ELISABETH à destination de Thio:
 
A la suite d’une erreur de longitude ou peut être d’un fort courant qui le drossait dans l’Ouest, l’ELISABETH se trouva engagée dans le cul de sac formé par le Grand Récif du Sud et l’île des Pins. Dans l’impossibilité de virer de bord, et de remonter dans le vent, la seule ressource était de franchir la passe de Nokankin entre l’atoll du même nom et l’île des Pins, passe d’une largeur égale à celle de la Garonne, à Bordeaux et semée de récifs des 2 bords. Elle fut franchie toutes voiles dehors, le Capitaine à la barre ! Avec le soleil qui montait le vent refusait mais fraîchissait en donnant de la vitesse : au plus près de plus en plus serré, il réussit cette difficile et périlleuse manœuvre sans doute unique dans les annales de la navigation à voiles. !
 
Sur ce même navire, venant de Nouvelle-Calédonie à destination de Glasgow, après avoir doublé les Malouines, la maladie s’attaque à son équipage : 3 hommes sont immergés. Le mal augmentant, notre ami décide de relâcher à Pernambouc. Sur les conseils du très accueillant vice-consul de France, les 3 matelots malades sont conduits dans une clinique tenue par des Sœurs Brésiliennes ne causant pas un mot de Français dont la charité allait plutôt à la riche clientèle habituelle de cette clinique. Elles s’empressent d’ailleurs de diriger les 3 Français vers un hôpital dirigé par des Sœurs françaises de St Vincent de Paul dont l’accueil souriant, la bonté et l’affection viennent vite réconforter leurs 3 compatriotes. Après s’être ravitaillés en vivres frais, l’ELISABETH continue sa route jusqu’à Glasgow, non sans avoir eu d’autres cas de maladies : Des hommes furent hospitalisés à l’arrivée et mis en observation, les médecins réservant leur diagnostic: scorbut ou béribéri.
 
2° L’ELISABETH rencontre des icebergs. Lors d’un voyage de retour, après avoir doublé le Horn, notre ami se trouvait à 400 milles dans le N.E. des Malouines, par temps bouché, dans les parages signalés par les instructions nautiques, comme étant fréquentés par les icebergs, certains d’une longueur de 7 à 8 milles. Pour pouvoir manœuvrer plus facilement, Blondel ne garda pour la nuit particulièrement sombre, que la misaine, les huniers fixes et volants et les perroquets fixes. Au petit jour, il aperçut dans son sillage un glaçon, et droit devant à 2 milles environ, un immense iceberg qui lui barrait la route. A 9 nœuds, il mit une heure à le doubler. Il est bien certain qu’une heure plus tôt, 1’ELISABETH se fut perdue corps et biens.
 
3° Le dernier voyage du BIDART et son naufrage aux Açores.
Le 11 juillet 1914, notre ami Blondel avait remarqué la présence d’un nombre inusité d’Allemands. Favorisé par le vent et attaquant rapidement la limite Nord du pot au noir, un cargo anglais lui apprit la déclaration de la guerre. Anxieux d’avoir des nouvelles dans les jours qui suivirent, après avoir retrouvé les alizés, quand il apercevait un navire, il mettait le cap dessus. A sa grande surprise, tous les navires s’éloignaient, pensant avoir à faire à un corsaire allemand dont l’un d’eux devait particulièrement se distinguer. Blondel resta ainsi sans nouvelles jusqu’au milieu de l’Océan Indien Sud. Il fut alors rattrapé par un gros cargo, armé d’un canon, qu’il prit d’abord pour un Allemand. Il se disposait à mettre cap au sud, quand il eut la joie de voir monter à sa corne, le pavillon anglais.. Il lui annonça que les Allemands s’éloignaient de Paris, et 20 jours après, l’ELISABETH mouillait à ordres à Nouméa. Le croiseur de l’Amiral commandant l’escadre française d’Extrême Orient se trouvait avec une puissante division japonaise, ces navires cherchant l’escadre de von Spee soupçonnée de naviguer dans les parages. De Nouméa, le BIDART fut expédié à Ouma pour décharger ; de là à Poro pour charger du minerai de nickel. A Poro notre camarade fut très mal ravitaillé en légumes pour le voyage de retour. Ce détail devait avoir une incidence tragique.
 
Le 1er février 1915 après avoir fait l’impossible pour avoir des pommes de terres et des porcs, Blondel appareillait pour le retour, dans de mauvaises conditions : 3 mois de séjour dans les eaux tropicales avaient fait de sa coque un parc à coquillages et un herbier qui firent que tout au long de la traversée, le BIDART se traîna lamentablement. Au cours de la remontée de l’Atlantique, 1 puis 3 puis 7 matelots tombent malades présentant les symptômes de la maladie que notre ami Blondel avait eue à bord de l’ELISABETH. Bientôt l’un d’eux devint moribond : le seul remède dont disposait le capitaine était du lime juice. Retardé par des vents défavorables, l’état des malades empirant, le capitaine décide avec les principaux de l’équipage, de relâcher à Fayal. Cette décision est prise le 22 ou le 23 mai. Le temps est mauvais et bouché. Depuis 60 heures, Blondel est sans observation, et obligé de naviguer à l’estime ; les fonds sont trop grands pour qu’il puisse sonder avec les moyens dont il dispose. Dans la nuit du 23 ou 24 mai, un des matelots expire.
 
Au petit jour, il aperçoit la terre droit devant à 2 milles, sans pouvoir la reconnaître. Comme carte il n’avait que le routier de l’Atlantique Nord. La côte abrupte et déchiquetée formant un tiers de cercle sur le milieu duquel il avait le cap, les 2 extrémités dont chacune à 1 quart par tribord et bâbord. Avec un équipage au complet, il pouvait rapidement doubler l’une ou l’autre de ces pointes, mais il fallait faire vite pour établir de la toile et orienter au plus près. Hélas ! faute de bras, la manœuvre fut trop longue et le BIDART drossé à terre par la dérive et le courant bientôt échouait sur un banc de rocher. Les embarcations furent tout de suite mises en pièces. Tout l’équipage y compris les malades, réussit à se réfugier sur la dunette, dans la chambre de veille, dont les rivets sautaient les uns après les autres. Le coqueron était plein d’eau.. Les fusées et les lignes porte amarres s’y trouvaient ainsi que les ceintures de sauvetages. Blondel réussit à la nage à les avoir et tout le monde en fut muni. Bientôt la situation devint tel qu’il fallut tenter de gagner la terre à la nage. Ce fut le second, Pédron, qui faisait son 1er voyage comme C.L.C. qui donna l’exemple. Le lieutenant et le maître d’équipage l’accompagnèrent : seul le lieutenant atterrit vivant. Blondel partit le dernier et réussit à grand peine à atteindre le rivage grâce à l’un des habitants qui entrant dans l’eau lui jeta un filin. Six hommes furent noyés ou tués sur les récifs. Leurs corps retrouvés reposent en terre chrétienne. Et notre camarade termine ainsi ce tragique récit : Seul n’y repose pas le jeune matelot dont j’ai recueilli le dernier soupir. Son cercueil sera la pauvre couchette de la cabine dans laquelle je l’avais fait transporter. Pour tous ceux qui ont péri en mer, les capitaines Cap Horniers ont la pieuse coutume, après la Messe qui termine leur congrès, de chanter l’Ave Maris Stella.